La forme du regard
La forme du regard
Ces formes sont abstraites.
Les épines sont des traits de musique. Les pétales tirent la langue. Le sexe est convoqué par une fleur qui n’est pas carnivore. Les traces d’eaux font transpirer qui les voit. Le givre glacé des pelouses offre au paravent les plissures du songe. Photographier un songe est donc possible !
C’est un photographe, Jacques Beun, qui nous dit que ça peut lui tomber des yeux, la photographie. Nous le comprenons, nous, les amateurs de formes, les voyeurs d’infini, les lecteurs du sacré dans l’ordinaire des pas.
Avouons-nous que nous sommes pris par cette forme subjectivante, déréalisante, désirante. Derrière le regard, un autre surgit. Le jeu de glaces est enfantin comme se déplie le paravent japonais. Pardon, les cimaises de l’Orangerie du Thabor à Rennes en Ille & Vilaine. Les crochets deviennent des traits inattendus, une attente de tableaux. Jacques Beun dit du monde ce que le monde ne voulait pas ( forcément ) dire.
Il ne photographie pas les choses, ni les plantes, ni les arbres, mettons qu’il fabrique son image pile à l’intersection de l’esprit, de l’âme et jusqu’aux chairs les plus tendres : en même temps.
Cette photo, appelons-la ainsi plus par commodité que par convention, pousse au voyage intérieur, chacun pour soi, ceci étant dit au sens où chacun se parle à soi. Sentez votre pouls quand vous passez devant.
La certitude du doute, c’est ce que le jardinier au chapeau de paille nous montre en nous tournant le dos. L’été des serres nie la saisonnalité, la temporalité ou la géolocalisation : l’Asie de Jacques Beun est rennaise et son œil borde l’Arctique !
Lewis Carroll passe de l’autre côté du miroir. Jacques Beun regarde par ses deux faces : vitre tapissée d’eau. Alvéolée de sèves. L’image abstraite que nous voyons et dont on est sûr et certain qu’il l’a vue, nul autre que lui et le jardinier pour l’avoir enfantée !
Jacques Beun ne montre pas ce qu’il montre, il donne forme à une vision.
Gilles Cervera
























